Survivants ‘chanceux’

décembre 19, 2016

Les lumières des villes et des villages sur la côte turque, à seulement douze kilomètres au large de l’île grecque de Lesbos, sont clairement visibles le soir. Les touristes peuvent s’y rendre en traversier rapide en moins d’une heure pour à peine 10€.

Mais pour ceux qui voyagent de Turquie vers Lesbos, cherchant désespérément un refuge en Europe, loin des guerres, de la persécution, de la souffrance, de la privation qu’ils espèrent avoir laissées derrière eux, cette même étendue d’eau peut leur coûter 1000€ chacun, serrés dans un canot pneumatique, avec quelque 60 autres âmes anxieuses. Les Syriens l’appellent rihlat al moot, la route de la mort. Celle-ci a coûté la vie à plus de quatre mille personnes l’an passé.

J’ai rencontré plusieurs des survivants chanceux de cette traversée dangereuse, la semaine dernière, dans le salon du Next Wave, un ketch de 42 mètres de long, dans le port de plaisance de Mytilène, à Lesbos. Ils participaient à des jeux avec les étudiants de l’Ecole de formation de disciples ‘Refuge’ à qui j’enseignais. En tant que traducteurs, ils aident les bénévoles et le personnel de JEM dans le camp de réfugiés de Moria, situé juste à l’extérieur de Mytilène, et visitent le bateau chaque semaine pour les loisirs.

Issus de quelque 45 pays d’origine, aussi divers que l’Afghanistan, Cuba et le Congo, les réfugiés aujourd’hui dans les camps ont fui les guerres et les combats en Syrie, en Irak, et en Libye ; la persécution et l’oppression des régimes en Iran et en Egypte ; les menaces dans des pays comme le Pakistan, l’Azerbaïdjan et la Somalie ; et la déshumanisation de la pauvreté en Algérie, en Haïti et au Népal.

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) rapporte que cette année, près de 175.000 personnes sont arrivées en Grèce par la mer, la plupart débarquant à Lesbos, surnommée la ‘ligne de front de la Forteresse Europe’. Un nombre similaire est arrivé en Italie cette année. Plus de 90% sont de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. Plus d’un tiers sont des enfants. Les hommes sont deux fois plus nombreux que les femmes.

Drame

C’est une grande réduction par rapport aux 857.000 arrivées, l’an dernier, en Grèce. Pourtant, cela représente toujours la tragédie des gouvernements européens qui ne respectent pas leurs valeurs prônées, à cause des sentiments populistes et anti-migrants grandissants. Sous la pression de nos gouvernements, le HCR n’a pas été en mesure d’aider les réfugiés provenant des bateaux, ou de les transporter du centre d’enregistrement à Moria, vers les traversiers qui se rendaient à Athènes, car cela aurait été considéré comme ‘aide à l’avancement du mouvement de l’immigration clandestine’, c’est-à-dire le trafic d’êtres humains.

Depuis le début de l’année, lorsque l’Union européenne a été d’accord avec la Turquie pour un retour massif de réfugiés et de migrants en échange pour l’Europe d’accepter moins de réfugiés directement des camps turcs, les bateaux de secours ont été interdits d’aider les réfugiés à débarquer sur la côte sud de Lesbos.

L’OTAN exploite maintenant des bateaux de guerre dans les eaux entre la Turquie et la Grèce, cherchant à intercepter des bateaux de réfugiés se dirigeant vers Lesbos. Des bateaux de pointe britanniques et norvégiens étaient amarrés dans le même port que le Next Wave, allant et venant furtivement du port à chaque heure de la journée et de la nuit. Depuis ma couchette au niveau de la ligne de flottaison, en-dessous des ponts, j’étais réveillé la nuit par le bruit palpitant des moteurs des garde-côtes grecs patrouillant à proximité.

Long voyage

Les volontaires des plus petites organisations jouent maintenant un rôle crucial, puisque des agences plus grandes ont été restreintes dans leurs activités. En plus des cours, les étudiants de l’EFD ‘Refuge’ font des tours de six heures dans le camp de Moria, trois jours par semaine, aidant à monter des tentes, gardant l’entrée, pacifiant des disputes entres les réfugiés et distribuant des provisions. D’autres membres du personnel de JEM et des bénévoles travaillent quotidiennement en équipe de jour et de nuit, dans le camp, certains vivant sur le Next Wave, et d’autres dans des appartements loués en ville. Ils sont véritablement des héros invisibles.

Moria, un centre de détention déjà existant, avec des grillages en fer et des fils barbelés, a été initialement adapté pour accueillir quelque 2.000 réfugiés. Il s’étend maintenant sur les collines d’oliviers environnantes, parsemées de tentes de fortune dans une zone connue sous le nom de Colline des Afghans, et héberge plus de 4.000 personnes. Après l’enregistrement de nouveaux arrivants, les autorités essayent de confirmer les identités, une tâche pratiquement impossible étant donné les situations chaotiques que les gens ont fuies. Après le premier mois, les internes du camp ont la liberté de quitter le camp durant la journée pour marcher jusqu’à la ville voisine, dans l’attente de leurs papiers officiels leur permettant d’aller à Athènes pour l’étape suivante du processus.

Les Afghans avec lesquels j’ai parlé s’attendent à devoir patienter plusieurs mois avant de pouvoir continuer. Une fois l’autorisation donnée, ils commenceront le long voyage, principalement à pied, vers l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suède… partout où ils ont des connexions. La question est de savoir s’ils trouveront d’autres personnes qui les aideront tout au long du chemin, comme les volontaires à Lesbos qui sont des exceptions face aux Européens de plus en plus indifférents et las de compassion.

Quoique tragique en soi, Lesbos n’est que la pointe de l’iceberg. Au niveau mondial, quelque 65 millions de personnes ont été déplacées cette année, ce qui correspond à l’ensemble de la population britannique. La majorité d’entre eux sont confrontés à des perspectives beaucoup moins optimistes que les quelques ‘chanceux’ à Moria.


À la semaine prochaine,

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