“La vérité est-elle morte ?”

avril 3, 2017

La semaine dernière, la couverture de TIME magazine posait la question ‘La vérité est-elle morte ?’ en grandes lettres rouges sur fond noir, une copie directe de la célèbre couverture ‘Dieu est-il mort ?’ du 8 avril 1966.

Je peux me souvenir, en tant qu’adolescent, du moment où j’ai vu la première fois cette couverture, à l’extérieur d’une librairie, alors que je me rendais à l’école à vélo. C’était la toute première couverture du TIME à ne pas avoir d’image. Les deux couvertures, séparées à plus de 50 ans d’intervalle, sont naturellement entrelacées. L’une suit l’autre.

La couverture de la semaine dernière présentait un entretien avec le titulaire de la Maison Blanche, après que le directeur du FBI ait témoigné qu’il n’y avait aucune preuve des revendications du président que son prédécesseur l’avait mis sous écoute. L’article de couverture explore comment le 45ème président avait amené au Bureau Ovale un ensemble d’hypothèses entièrement différentes sur le comportement convenable d’un fonctionnaire public. En tant qu’homme d’affaires, il avait écrit en louant le mensonge stratégique, ou ‘l’hyperbole véridique’, comme il préférait l’appeler. La vérité peut être réelle, mais le mensonge a souvent mieux fonctionné.

Mentir à la Maison Blanche n’est pas nouveau, bien sûr. Du temps de l’ère Reagan, quelqu’un a plaisanté : « George Washington ne pouvait pas mentir. Richard Nixon ne pouvait pas dire la vérité. Et l’occupant actuel de la Maison Blanche ne peut pas faire la différence. » Et comment pouvons-nous oublier le procès d’accusation du président décrit par un camarade Démocrate comme un ‘menteur exceptionnellement bon’ et qui restera à jamais associé au nom de Monica Lewinsky ?

En fait, le mensonge est aussi vieux que la première tentation d’Adam et Eve. Lorsque le diable ment, Jésus disait, il parle sa langue maternelle. En tant qu’êtres humains déchus, c’est aussi notre langue maternelle. Le mensonge est universel. Nous avons tous tué la vérité dans une certaine mesure.

Post-vérité

L’an dernier semble cependant avoir été un tournant. Le choix de ‘post-vérité’, par le dictionnaire Oxford, comme son mot international de l’année, reflétait une augmentation multipliée par 20 du terme en 2016 ‘dans le contexte du referendum de l’Union européenne au Royaume-Uni et de l’élection présidentielle aux Etats-Unis.’ Le terme décrit une situation ‘dans laquelle les faits objectifs sont moins influents que les appels à l’émotion’.

Les Brexiters ont exagéré le coût de l’adhésion à l’Union européenne pour la moyenne des Britanniques, par presque le double, par exemple. L’argument qui a suivi sur le montant correct, a servi à mettre l’accent sur le ressentiment selon lequel les citoyens payaient quelque chose. Le Gros Mensonge sur les frais de l’Union européenne qui pouvaient par ailleurs revenir au Service National de Santé (National Health Service), écrit en grand à travers un bus rouge, rappelait la tactique du Gros Mensonge d’Hitler selon laquelle un gros mensonge, répété à maintes reprises, est plus efficace qu’un petit mensonge.

Pressentant notre ère postmoderne, post-vérité, le ministre de la propagande d’Hitler, Joseph Goebbels, argumenta que ‘nous ne parlons pas pour dire quelque chose mais pour obtenir un certain effet’. Nous nous attendions toujours à ce genre de discours des nazis et des communistes. Qu’il soit devenu courant dans nos démocraties occidentales ‘libérales’ devrait donner à réfléchir.

Ce qui rend la dernière couverture du TIME très à propos. La moralité a été renversée. Quand le mensonge est accepté au lieu d’être condamné, il devient nécessaire. Si c’est la manière de gagner, vous ne faites pas votre travail lorsque vous refusez de mentir. Le ‘vivre-le-mensonge’ remplace le ‘vivre-la-vérité’.

La vérité prévaut

Vaclav Havel, le dramaturge dissident tchèque qui devint président, se rebella contre le pouvoir en place, en appelant les gens partout à vivre pour la vérité et à ne pas vivre le mensonge, dans son essai de 1978 ‘Le pouvoir des sans-pouvoir’. Ce ‘cri qui causa une avalanche’ qui conduisit finalement au renversement du communisme dans son pays. Sa devise présidentielle, ‘la vérité prévaut’, venait du réformateur tchèque du 15ème siècle, Jan Hus qui, pendant qu’il était emprisonné à Constance dans l’attente de son jugement pour hérésie, écrivit sa fameuse Règle de Sept : ‘Dès lors, chrétiens fidèles, cherchez la vérité, entendez la vérité, apprenez la vérité, aimez la vérité, prononcez la vérité, adhérez à la vérité, défendez la vérité jusqu’à la mort, car la vérité vous libérera.’

Alexandre Soljenitsyne, un autre dissident de l’ère soviétique qui voyait par le mensonge du ‘vivre le mensonge’, déclara dans son discours de Prix Nobel : ‘une parole de vérité l’emporte sur le monde entier.’

Os Guinness cite ces deux voix prophétiques dans son livre Time for Truth (le temps pour la vérité) (Baker, 2000), sur les conséquences graves que la mort de la vérité objective a pour la civilisation occidentale et la liberté. La vérité a extrêmement d’importance, écrit-il.

La vérité est loin d’être morte, soutient-il ; elle est vivante et en bonne santé, dans une large mesure, indéniable. Si la vérité est la vérité, alors les différences font une différence, pas seulement entre la vérité et les mensonges, mais entre l’intimité et l’aliénation, l’harmonie et le conflit, la fiabilité et la fraude, la confiance et la suspicion, la liberté et la tyrannie – et entre la vie et la mort.

Au final, sans vérité, il n’y a pas de liberté. La vérité est la liberté. Le seul moyen d’une vie libre consiste à devenir une personne de vérité et à apprendre à vivre dans la vérité. ‘La vérité ne consiste pas à connaître la vérité,’ écrivait Søren Kierkegaard, ‘mais à être la vérité.’


À la semaine prochaine,

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