Le septième d’une série sur la révolution spirituelle derrière la chute du communisme, il y a trente ans :
Deux ans après que le Pape Jean-Paul II eut célébré la messe avec des centaines de milliers de ses compatriotes polonais, sur la Place de la Victoire à Varsovie, je me suis retrouvé moi-même dans la capitale de la capitale polonaisepour parler lors d’une conférence estudiantine.
C’était le week-end de la Fête du Travail en 1981, lorsque la participationobligatoire au défilé annuelavait été suspendue. Peu d’attention a été accordée à la parade. Au lieu de cela, des foules se rassemblaient pour assister aux manifestations organisées par le syndicat Solidarność, un mouvement qui s’était développé l’année précédente, pour compter dix millions d’adhérents.
Le premier pèlerinage du Pape, en juin 1979, avait été un tournant. Neuf jours d’événements publics martelant les thèmes de la vérité, de la dignité et des droits de l’homme avaient libéré un nouvel espoir pour un avenir différent. Les Polonais avaient fini par se rendre compte « combien ‘nous’, les gens, étions nombreux et forts et combien ‘ils’, le régime, étaient peu nombreux et faibles. ‘Nous’ étaient ceux qui vivraient pour la vérité, pour la dignité, pour la solidarité.‘Ils’ étaient ceux qui traitaient les humains comme des objets, des unités de production, des outils de l’Etat.
La visite avait jeté les bases d’une révolution morale à réaliser par un peuple avec une solidarité retrouvée. La ‘solidarité’, un pilier de l’enseignement social catholique, issu des origines communes de la race humaine dans le Dieu Créateur, impliquait que les humains devaient rechercher le bien commun de l’ensemble.
En août 1980, la forte augmentation des prix avait provoqué des grèves des ou de travailleurs, comme auparavant en 1956, en 1970, et en 1976, lorsqu’unerépression violente avait causé des morts. Cette fois, à Gdansk, les travailleurs étaient rejoints par des intellectuels dissidents. Dirigé par un électricien de chantier naval, Lech Wałęsa, un syndicat indépendant, illégal et autonome, Solidarność, a vu le jour. Le droit à l’association volontaire pour l’organisation de la vie économique ayant été déclaré lors de Vatican II, Solidarność avait le soutien de l’Eglise catholique.
Optimisme
Pour le régime communiste, Solidarność était doublement menaçant. Non seulement, il s’agissait d’un syndicat indépendant au sein d’un système où tout était contrôlé par l’Etat, il s’agissait également d’un syndicat de travailleurs qui se rebellait contre un soi-disant ‘Etat des travailleurs’. Il exposait le mensonge de la revendication communiste de représenter les travailleurs.
Au début, le régime se sentit forcé, par la pression publique, de reconnaître le syndicat. Mais les dirigeants soviétiques du Kremlin étaient encore moins amusés et firent pression sur le gouvernement polonaispour restaurer la ‘normalité’.
Varsovie, lorsque je suis arrivé en mai 1981, était encore baignée d’optimisme et d’espoir. Des affiches rouges et blanches de Solidarność étaient placardées partout. Le visage de Wałęsa, avec sa moustache de morse, était devenu célèbre dans le monde entier grâce aux médias.
Lorsque j’ai demandé aux étudiants euphoriques ce qu’ils feraient si les chars russes arrivaient, ils ont rigolé et ont dit : « On retournera simplement les panneaux dans l’autre sens ! » Pour mon chauffeur et moi-même, Varsovie semblait condamnée à subir le même sort que Budapest (1956) et Prague (1968).
Le lendemain matin, alors que nous prenions notre petit-déjeuner dans la salle à manger d’un hôtel, un petit groupe d’hommes et de femmes est entré et s’est assis à une table voisine. J’ai immédiatement reconnu la moustache de morse à la table de conversation. C’était l’électricien de chantier naval qui secouait tout le monde communiste avec son cercle de conseillers !
Résistance
Je me suis retrouvé à me demander ce qu’il allait devenir. Serait-il emprisonné, assassiné, ou disparaitrait-il sans laisser de trace ? Il avait certainement des ennemis dans les hautes sphères. Exactement deux semaines plus tard, ces ennemis ont tenté d’assassiner Jean-Paul II à Rome.
Lorsque la loi martiale fut déclarée en Pologne sept mois plus tard, Solidarność fut proscrit et Wałęsa et d’autres chefs de file furent emprisonnés. Le Parti communiste polonais a continué à se trouver sur la défensive, incapable de relever le défi moral. «Ce n’était pas un socialisme à visage humain, disait-on, mais un communisme avec quelques dents brisées.»
Des années de lutte suivirent, au cours desquelles l’Eglise catholique s’est développée en une église de résistance, offrant des oasis de résistance non-violente, de réconfort et d’espoir. Le Père Jerzy Popiełuszko commença une ‘Messe mensuelle pour la mère-patrie’après l’annonce de la loi martiale, attirant des milliers de personnes non seulement à l’intérieur de l’église, mais jusqu’à douze mille personnes se tenant deboutà l’extérieur, parfois dans la neige. Il mettait au défi ses congrégations en disant : «Opteriez-vous pour le bien ou le mal, la vérité ou le mensonge, l’amour ou la haine ? »
Deux ans plus tard, Père Jerzy fut brutalement assassiné. Lors de ses funérailles, Wałęsa, à présent libéré, exhortait les gens à ne pas se laisser provoquerpar la violence. La tombe de Popiełuszko est devenue un sanctuaire de pèlerinage, un point central d’un mouvement national de résistance, de solidarité et de non-violence.
Les visites du Pape en 1983 (lorsqu’il rencontra personnellement Wałęsa) et en 1987 ont continué à faire pression pour que soit reconnu Solidarność, qui a finalement eu lieu en février 1989.
Les portes étaient désormais ouvertes aux candidats de Solidarność de se présenter aux élections et de remporter la grande majorité des sièges parlementaires. Le conseiller de longue date de Wałęsa, Tadeusz Mazowiecki, fut nommé premier ministre.
L’année suivante, pour compléter la révolution des travailleurs, Lech Wałęsa devint le premier président d’une Pologne démocratique – quelque chose que je n’avais jamais osé imaginer ce matin-là, dans la salle à manger de Varsovie.
À la semaine prochaine,