La maison des squatteurs

novembre 4, 2015

‘Ayant ignoré son héritage, l’Europe se demande pourquoi sa maison tombe en ruine’.

Un article récent du Wall Street Journal reprenant ce sous-titre signalait que les Européens ne croyaient plus aux choses par lesquelles leurs convictions sont apparues: le Judaïsme et le Christianisme ; le libéralisme et le Siècle des Lumières ; la fierté martiale et l’aptitude ; le capitalisme et la richesse. Ils croyaient encore moins devoir se battre ou se sacrifier ou payer ou même se prononcer pour ces choses, dit l’article. En ayant ignoré et sapé leurs propres fondations, ils se demandaient pourquoi leur maison s’effondrait. Etait-ce simplement un point de vue « typiquement américain » sur l’Europe ou y avait-il une part de vérité dans ces revendications ? Je posais ces questions à un rassemblement de parlementaires européens lors d’un petit-déjeuner de prière, la semaine dernière, à Strasbourg, en ajoutant ma propre proposition : que la Maison de l’Europe devenait rapidement une maison de squatteurs. Les squatteurs dont je faisais référence n’étaient pas les migrants et les réfugiés, mettant actuellement les valeurs de l’Europe en test. Non, c’était les membres de la subculture séculière dominante de l’élite politique, académique et médiatique, qui revendiquent les libertés et les privilèges de la maison européenne sans vouloir ‘payer le loyer’. J’ai été invité à partager quelques réflexions sur les fondations de nos ‘valeurs européennes’ pour ce rassemblement annuel. Parler de ‘fondations’, commençais-je, suggérait une analogie architecturale : sur quelles fondations la maison européenne fut-elle construite ?

Glissant

Il n’y a pas de liste définitive des ‘valeurs européennes’, même si la dignité humaine, la liberté, l’égalité, la solidarité et la démocratie sont souvent citées. Derrière moi, tandis que je parlais, se trouvait une grande bannière déclarant la devise de l’Union européenne – Unis dans la diversité – dans chacune des 24 langues officielles de l’Union européenne. Donc, d’où provenaient ou proviennent ces valeurs et cette devise ? Elles sont souvent présentées comme formulées en premier lieu dans La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le document fondamental de la Révolution française. Inspirée par les philosophes du Siècle des Lumières, la Déclaration devait, en effet, influencer le développement de la liberté et de la démocratie en Europe et dans le monde entier. Prétendument dans l’esprit de ‘la loi naturelle séculière’, basée sur aucune doctrine ou autorité religieuse, de telles valeurs étaient considérées comme universelles et évidentes en soi. Mais d’où ces idées avaient-elles jailli en premier lieu ? J’invitai donc mes auditeurs à se pencher de plus près sur ces valeurs, et à se demander dans quelle mesure elles seraient durables sans les fondements bibliques. L’égalité était-elle vraiment une valeur évidente en soi et universelle, comme revendiqué dans la Déclaration américaine d’Indépendance ? Alors pourquoi toutes les civilisations ne l’ont-elles pas reconnue ? Et nous, les Européens, avons-nous cru en l’égalité, ou est-ce que la montée du nationalisme et du populisme n’a-t-elle pas trahi une foi en la supériorité de notre propre genre ? Existait-il un fondement pour l’égalité sans la reconnaissance que nous étions tous des créatures de l’Unique Créateur, enfants du même Père, membres de la seule race humaine ? A quel moment l’idée de la dignité humaine émergea-t-elle dans la conscience européenne ? La Grèce ? Rome ? Ces deux sociétés avaient des esclaves. Aucune des deux n’avait une vue des êtres humains qui pouvaient soutenir le concept de la dignité humaine universelle. Si les humains n’étaient que des produits accidentels de ‘substances visqueuses + évolution’, comment pourrions-nous parler de dignité ? En se basant sur les actes nobles des hommes et des femmes ? Les événements atroces du siècle dernier ont discrédité cette idée. Existait-il une réelle alternative à l’enseignement judéo-chrétien disant que la seule base pour la dignité humaine était que les humains ont été créés à l’image de Dieu ? La liberté était aussi un concept glissant. La liberté pour qui ? Pour tous, ou juste pour les Européens ? Le paradoxe de la liberté était qu’il exigeait du sacrifice, de la retenue, des limites, le maintien de la fidélité dans les relations. Je citai Jonathan Sacks qui mettait en garde qu’historiquement, la liberté a conduit à la permissivité, laquelle a mené au chaos, et laquelle a finalement conduit à l’ordre sous la tyrannie.

Bavardage

L’unité dans la diversité pourrait-elle être soutenue sur le fondement du monisme, comme dans les religions orientales qui engloutissent la diversité dans l’unité ; ou du dualisme, comme le yin et le yang, où deux opposés sont maintenus en équilibre ? La devise de l’Union européenne ne trahissait-elle pas la présupposition biblique du trinitarisme, qui considérait, comme réalité suprême, l’unité des trois Personnes diverses de la Trinité ? Beaucoup d’Européens vivaient comme de squatteurs dans une maison construite sur des concepts bibliques et sur la révélation, proposai-je, tout en niant leur dette envers de telles fondations. Souvent, jouissant des droits sans en accepter les responsabilités, les Européens ont eu besoin de retourner à la source de vie de leur société et culture, la vérité biblique, afin que ces valeurs soient durables. Même le renommé philosophe séculier, Jürgen Habermas, admit qu’il n’y avait pas de fondements alternatifs : l’égalitarisme universaliste, d’où jaillissent les idéaux de liberté et une vie collective dans la solidarité, la conduite de vie autonome et l’émancipation, la moralité individuelle de conscience, les droits de l’homme et la démocratie, est l’héritage direct de l’éthique judaïque de justice et de l’éthique chrétienne de l’amour. … Il n’y a, à ce jour, aucune alternative à cela… Nous devons tirer notre nourriture maintenant, comme dans le passé, de cette substance. Tout le reste n’est que bavardage postmoderne.

(Habermas, J, Time of Transitions, Polity Press, 2006, p150).


À la semaine prochaine,

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