Jeudi soir dernier a été un moment de réveil à la télévision néerlandaise. Les rapports dans les médias sociaux ont fait le buzz et les journalistes se sont bousculés de partout pour y répondre. Lors d’un talk-show populaire en prime-time regardé par des millions de spectateurs, l’ancien politicien Jan Terlouw (85 ans) a touché un nerf sensible à l’échelle nationale lorsqu’il a comparé la société d’aujourd’hui à celle d’il y a cinquante ans.
‘Il n’y a plus de cordes sortant des boîtes aux lettres’ a-t-il déclaré, déplorant la perte de confiance dans la société néerlandaise. Il faisait allusion à une vieille pratique permettant aux enfants d’ouvrir le loquet de la porte d’entrée avec une corde pendante à travers la fente de la porte d’entrée.
Nous ne nous faisons plus confiance, continua-t-il. Un entrepreneur lui a dit que les accords qu’il avait l’habitude de conclure avec une poignée de main, avaient aujourd’hui besoin de cinq contrats. Un autre contractant se plaignait que pour construire un pont, il avait aujourd’hui besoin de plus d’avocats que d’ingénieurs.
Pourquoi les électeurs américains ont-ils choisi Trump, demanda-t-il, en dépit d’une campagne offensant les femmes, les Mexicains, les musulmans et beaucoup d’autres, et niant ce que les scientifiques savent depuis des décennies au sujet du réchauffement climatique ? Parce que, proposa-t-il, les électeurs ont reconnu que l’autre parti n’était pas également digne de confiance, avec les transactions secrètes pour Wall Street.
La même chose avec le Brexit, continua Terlouw. Les politiciens et les experts avaient mis en garde le public de ne pas voter ‘leave’ (départ de l’UE). Mais le message des citoyens était : « Nous ne vous faisons pas confiance ».
« Mais les politiciens ne peuvent résoudre les problèmes aux côtés du peuple que dans une société de confiance », affirma-t-il à son public dans le studio. « Si la confiance est si basse, alors c’est un très gros problème. Comment pouvons-nous résoudre cela ? J’aimerais dire à tous les politiciens : montrez de l’intégrité, soyez dignes de confiance, et démontrez que vous voulez servir l’intérêt public, que vous avez de la préoccupation pour l’avenir, pour la jeunesse, pour une terre durable… pour une société où les cordes sortent des boîtes aux lettres. »
Barrières
Jeudi également, dans le journal The Guardian, le scientifique de Cambridge, Stephen Hawking, a exprimé sa profonde inquiétude pour le même manque de confiance au sein de la société et pour les barrières croissantes entre les nations. Reconnaissant qu’il appartenait à l’élite, dont le conseil a été rejeté par une grande partie du public, il a fait un plaidoyer sincère que maintenant, plus qu’à n’importe quel moment de notre histoire, notre espèce avait besoin de travailler ensemble.
« Nous faisons face à des défis environnementaux impressionnants : le changement climatique, la production alimentaire, la surpopulation, la décimation d’autres espèces, les maladies épidémiques, l’acidification des océans. De concert, ils nous rappellent que nous sommes au moment le plus dangereux du développement de l’humanité. Nous avons actuellement la technologie pour détruire la planète sur laquelle nous vivons. Nous avons besoin de briser, non pas de construire, des barrières au sein et entre les nations. »
Ce même jour, j’étais moi-même à Londres pour assister à un événement abordant « La crise de liberté en Occident ». Parmi les orateurs de renommée mondiale figuraient Sir Roger Scruton et le professeur Rémi Brague. Alors que plusieurs intervenants ont utilement identifié la perte de fondations spirituelles à la base de cette crise, je me suis retrouvé sur le chemin du retour aux Pays-Bas, ce soir-là, avec un profond sentiment de malaise. Le souci de rétablir la liberté semblait se limiter à son propre pays, alors que peu d’attention avait été donnée à la manière dont les nations devaient et pouvaient s’associer pour promouvoir la liberté. Comment la relation de confiance pourrait-elle être rétablie entre les nations ?
La célébration du sentiment national et de la souveraineté britanniques, de la part de Sir Roger, souleva de sérieuses questions en moi. Cela peut sembler bon et bénin pour les Farage et les Trump de déclarer « Faisons à nouveau de la Grande-Bretagne/de l’Amérique une grande nation ! », mais vu de l’extérieur, cela n’est pas rassurant. Qu’en serait-il si chaque nation adoptait cette attitude ? Regardez Poutine : « Faisons à nouveau de la Russie une grande nation ! » Imaginez si le successeur d’Angela Merkel, dans quelques années, était un membre de l’extrême droite AfDer, et commençait à claironner : « Faisons à nouveau de l’Allemagne une grande nation ! ». Ou Le Pen en France… Cela ne ressemble-t-il pas tout à nouveau aux discours d’il y a cent ans ?
Symposium
C’est précisément le scénario que Robert Schuman espérait rendre définitivement obsolète dans ses efforts de créer une sorte de communauté européenne. Il insista sur le besoin de confiance, de partenariat et d’interdépendance. Il avait songé à une communauté de peuples profondément enracinée dans les valeurs chrétiennes d’égalité, de liberté, de solidarité et de paix. Il avait averti qu’un tel projet avait besoin d’une âme et ne pouvait juste être économique et technologique. Avec Konrad Adenauer, il mit en avant le pardon et la réconciliation en tant que fondement pour une telle confiance et un tel engagement.
Ce qui est si tragique, au sujet des gros titres actuels, est que les voix des populistes, trop souvent soutenues par ceux qui se disent chrétiens, s’affairent à démanteler les bases posées avec soin après la guerre pour un cadre de confiance et de coopération.
C’est une question urgente.
Demain à Bruxelles, lors du second Symposium Schuman sur la spiritualité et la politique en la Chapelle de l’Europe, on nous rappellera le besoin crucial de valeurs spirituelles pour nous guider dans ces temps difficiles sur le plan politique.
Des frontières ouvertes reflètent la confiance. Elles sont les cordes qui sortent de nos boîtes aux lettres nationales.
À la semaine prochaine,