La réponse récente d’Angela Merkel à une question au sujet de la crainte de l’islamisation grandissante en Europe a suscité une agitation médiatique, la condamnant de traître naïve, ou la louant comme étant un ange compatissant.
L’hebdomadaire allemand Der Spiegel l’a dépeinte comme une sainte fourvoyée, une « Mutter Theresa » réincarnée, qui essayait de transformer l’Allemagne en une superpuissance morale en Europe. La Merkel rationnelle et réfléchie était en train de devenir sentimentale et sujette aux erreurs, argumentait l’hebdomadaire.
Pendant ce temps, le journal britannique The Economist saluait le ‘courage politique d’Angela Merkel, qui dit à son peuple de mettre de côté la peur des immigrants et de montrer de la compassion envers les nécessiteux’. L’article concluait : ‘La politique de la peur peut être contrecarrée par la politique de la dignité. Madame Merkel l’a compris, le reste du monde le devrait aussi.’
Courage
Qu’a-t-elle donc réellement dit, tandis qu’elle était à Bern afin d’y recevoir un titre de docteur honoris causa ? (voir la vidéo avec les sous-titres en anglais ici.)
Merkel : La peur n’a jamais été une bonne conseillère, aussi bien dans nos vies personnelles que dans notre société. Les cultures et les sociétés qui sont façonnées par la peur n’auront, sans nul doute, aucune emprise sur le futur. Bien entendu, nous avons ce débat, que beaucoup de musulmans ont également : l’Islam appartient-il ou non à l’Allemagne ? Quand nous avons quatre millions de musulmans (en Allemagne), il n’est pas possible de débattre sur le fait que les musulmans appartiennent à l’Allemagne mais pas l’Islam, ou si l’Islam appartient aussi à l’Allemagne.
Je vois qu’il y a des préoccupations, mais je dois dire que nous avons tous la chance et la liberté de pratiquer aussi notre propre religion. Je ne suggère pas que celui qui pratique l’Islam est à blâmer pour cela.
Nous devrions avoir le courage, en tant que chrétiens, d’entrer en dialogue avec eux. Alors que nous parlons de tradition, s’il vous plaît, allez à l’église de temps en temps, ou penchez-vous un peu plus dans la Bible, peut-être soyez en mesure d’expliquer une peinture dans l’église, ou au moins, soyez en mesure d’expliquer le sens de la Pentecôte. Je dois juste dire que ce que beaucoup de gens connaissent à propos de l’Occident chrétien laisse à désirer.
Se plaindre du fait que les musulmans connaissent plus le Coran que la Bible, je trouve ça très curieux. Peut-être que ce débat va nous donner envie de revenir en arrière, et nous encourager à acquérir plus de connaissances à propos de nos racines.
Jusqu’à présent, je trouve que ce débat est d’un esprit extrêmement sur la défensive.
Bien sûr, nous devons nous préparer contre le danger terroriste, mais rappelons-nous tous à quel point l’histoire européenne est riche en conflits et guerres dramatiques et horribles. Nous devrions être très prudents lorsque nous nous plaignons si quelque chose de mal se produit quelque part ailleurs. Bien sûr, nous devons prendre position contre ça, mais nous n’avons absolument aucun prétexte de montrer une arrogance hautaine envers les autres, et je dois dire cela en tant que chancelière d’Allemagne.
Une déclaration vraiment remarquable : « Nous… en tant que chrétiens… » ! La chancelière ne devrait-elle pas être ‘neutre’ dans ses commentaires ? Ne devrait-elle pas respecter la séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Bien sûr, si elle avait dit : « Nous… en tant qu’humanistes… », personne n’aurait froncé les sourcils. Ceux qui prétendent, sur base de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, que les politiciens ne devraient pas pouvoir parler sur base de leurs propres convictions ou perceptions de la réalité – ou spiritualité – semblent penser que les valeurs sont neutres.
Tabou
Les valeurs proviennent de notre compréhension de la réalité. Pour les chrétiens, cela signifie notre compréhension de la Réalité Ultime et de la nature humaine : Dieu et les hommes créés à son image. La croyance en aucun Dieu ou dieux, et en des humains comme accidents de ‘substances visqueuses + temps d’évolution’, mènera vers d’autres valeurs. Tout comme John Gray le dit, les humanistes sont tout simplement des chrétiens déguisés, lorsqu’ils revendiquent les valeurs et la dignité pour les humains, mais retirent Dieu hors du tableau.
Historiquement, la spiritualité judéo-chrétienne a principalement façonné les valeurs de l’Europe. Désolé, mais les visions du monde grecques et romaines n’incluaient tout simplement pas les humains créés à l’image du Dieu biblique, sur lequel nos concepts de dignité humaine et des droits de l’homme sont fondés.
Merkel encourage les chrétiens à s’engager dans le débat avec d’autres visions du monde, l’Islam y compris ; d’en apprendre plus sur nos racines, d’aller plus à l’église, d’en apprendre plus sur la Bible et l’histoire européenne. Elle défend la société ouverte où il y a de la place pour les différents points de vue et l’ouverture pour un dialogue avec respect. Elle brise le tabou du lien entre la spiritualité et la politique.
Robert Schuman en fit autant il y a septante ans.
Lui aussi fut accusé d’être un traître lorsqu’il proposa – durant la guerre – que lui et ses compatriotes français allaient devoir apprendre à aimer et pardonner aux Allemands afin de reconstruire l’Europe ! Pourtant, sur cette base, tirée de sa spiritualité chrétienne personnelle, le projet européen brisa le cercle vicieux de la vengeance pour produire sept décennies de paix.
Nous devons suivre l’exemple de la chancelière et parler de la relation entre la spiritualité et la politique. C’est dans ce but que nous planifions de tenir le premier Symposium Schuman annuel sur la spiritualité et la politique, le 1er décembre, dans la Chapelle de la Résurrection à Bruxelles. Plus d’informations prochainement.
À la semaine prochaine,