La cinquième d’une série sur la révolution spirituelle derrière la chute du communisme, il y a trente ans :
Durant les six dernières semaines de 1989, la Révolution de Velours, dans ce qu’était à l’époque la Tchécoslovaquie, a vu la transition non-violente du pouvoir d’un régime à parti unique vers une république parlementaire démocratique.
Elle culmina avec l’installation présidentielle surréaliste du dramaturge dissident, Václav Havel, acclamé par le public au Château de Prague le 29 décembre. Ainsi s’achevèrent quarante-et-un ans de régime communiste en Tchécoslovaquie.
Le déclencheur de cette révolution a été la manifestation estudiantine du 17 novembre à Prague. La police anti-émeute se déploya pour réprimer la manifestation marquant le cinquantième anniversaire de la répression violente d’une autre manifestation estudiantine en 1939. Celle-ci était contre la prise d’assaut nazie de l’Université Charles à Prague et a provoqué 1.200 arrestations et neuf meurtres. L’événement de 1989 suscita de nouvelles manifestations : deux jours plus tard, les manifestants étaient au nombre de 200.000. Le lendemain, 500.000 personnes sont descendues dans la rue. En quatre jours, la direction du parti communiste avait démissionné, et le 27 novembre, pratiquement toute la population de Tchécoslovaquie participa à une grève générale de deux heures.
Avec d’autres gouvernements du Pacte de Varsovie s’écroulant autour d’eux, le parti communiste a vu les signes avant-coureurs. Le 28 novembre, il annonça la fin de l’Etat à parti unique. Les barrières de fils barbelés situées aux frontières ouest-allemandes et autrichiennes avaient été retirées au début du mois de décembre. Le 10 décembre, le premier gouvernement majoritairement non-communiste fut désigné et le 28 décembre, Alexander Dubček, dirigeant du printemps de Prague infructueux de 1968, fut élu Président du parlement.
Le lendemain, Havel se retrouva transporté au Château de Prague en tant que président national et la Révolution de Velours fut complète. En juin 1990, la Tchécoslovaquie tint ses premières élections démocratiques depuis 1946.
Liberté religieuse
Cependant, plus d’un an auparavant, le 25 mars 1988 à Bratislava, une manifestation avait eu lieu. Elle était reconnue comme le premier événement public important ayant conduit à la destruction du régime communiste en Tchécoslovaquie. Les instigateurs de la manifestation étaient des dissidents catholiques romains se mobilisant pour la liberté religieuse en Tchécoslovaquie. Cinq mille Slovaques ont manifesté sur une place centrale, des bougies à la main, et six mille autres dans les rues avoisinantes. La police secrète a bloqué l’entrée principale de la place, en utilisant des canons à eau contre les manifestants avant de les attaquer avec des matraques.
Pourtant, plus tôt encore, les écrits et les actions personnelles de Václav Havel, au cours de la décennie précédente, avaient plus que tout éveillé la conscience de son propre peuple et de ceux qui se trouvaient bien au-delà des frontières de sa nation . Profondément influencé par l’écrivain exilé Soljenitsyne, Havel croyait lui aussi en la nécessité d’une dimension spirituelle en politique et faisait écho à l’exhortation du Russe de refuser de vivre sous le mensonge.
Havel a traduit dans son propre contexte l’exhortation de Soljenitsyne à ses lecteurs de choisir de ne pas « signer, écrire ou imprimer d’aucune manière une seule phrase qui, selon lui, déforme la vérité » ;… de ne pas « participer à des manifestations et des réunions si elles sont contraires à son désir » ; … « quitter une réunion, une séance, une conférence, une diffusion d’un film s’il entend un orateur dire des mensonges, ou diffuser des inepties idéologiques ou une propagande sans scrupules… »
Origines transcendantales
En 1978, Havel a fait circuler dans la clandestinité son propre essai interdit, Le Pouvoir des sans-pouvoir, expliquant comment des communautés détachées d’individus, unis dans une cause commune, pouvaient saper les régimes oppressifs en utilisant l’arme de la vérité. Traduit en plusieurs langues, il fut adopté comme manifeste de dissidence en Tchécoslovaquie, en Pologne et dans d’autres régimes communistes.
Havel était un membre fondateur du mouvement de la Charte 77, dont la devise était : La vérité prévaut pour ceux qui vivent dans la vérité. Emprisonné à plusieurs reprises pour sa position sur la vérité, Havel s’inspira d’une longue tradition de dissidence remontant au réformateur tchèque et héros national du 15ème siècle, Jan Hus. Il a déclaré à plusieurs reprises les paroles de Hus, La vérité prévaut, en faisant plus tard de celles-ci sa devise présidentielle. A maintes reprises dans sa campagne contre le mensonge et l’oppression, il a déclaré que « la vérité et l’amour doivent prévaloir sur le mensonge et la haine».
Havel a reconnu que la vérité et l’amour avaient des origines transcendantales. Si la démocratie devait non seulement survivre, mais se développer avec succès, a-t-il dit, elle devait « renouveler son respect pour cet ordre immatériel qui n’est pas seulement au-dessus de nous, mais aussi en nous et parmi nous et qui est la seule source possible et fiable du respect de l’homme pour lui-même, pour les autres, pour l’ordre de la nature, pour l’ordre de l’humanité, et donc pour l’autorité séculière également. »
Bien qu’il n’était pas un membre actif d’église, il a décrié « le grand départ de Dieu » sans précédent dans l’histoire de notre monde. La crise mondiale était enracinée dans la condition spirituelle de la civilisation moderne, la perte d’une expérience du transcendantal.
« Dès que l’homme a commencé à se considérer comme la source de la plus grande signification dans le monde et la mesure de tout, » a-t-il écrit dans Disturbing the peace (déranger la paix), « le monde a commencé à perdre ses dimensions humaines, et l’homme a commencé à en perdre le contrôle. »
Selon les paroles de James Sire, Havel était devenu la conscience intellectuelle de la politique internationale.
À la semaine prochaine,