Rétablissons certains faits au sujet de la migration. Lors du débat sur le Brexit et les récentes élections américaines, les campagnes ‘post-vérités’ ont joué sur les sentiments et la peur des électeurs avec des faits déformés et des mensonges montés de toutes pièces.
Des idées fausses répandues sur la migration renforcent la popularité des populistes continentaux et nourrissent l’antagonisme envers les migrants. Ces distorsions entravent le développement des politiques de migration nécessaires, en réponse aux nouvelles réalités économiques et démographiques.
La semaine dernière, au Forum pour la transformation de l’Afrique à Dakar, au Sénégal, j’ai participé à des discussions aux côtés de participants africains, afin de creuser sous la surface pour découvrir ce qui s’y trouvait réellement.
Le premier mythe que nous avons abordé était la notion que nous vivions dans des temps de migration sans précédent. La migration a fait partie de l’histoire humaine depuis le début, comme nous le lisons dans la Bible au sujet de Babel, d’Abraham et des Israélites. Plus récemment, des vagues d’Européens émigrèrent vers d’autres parties du monde, aux 19ème et 20ème siècles. Soixante-cinq millions de personnes quittèrent l’Europe pour d’autres rivages, entre 1846 et 1924, dont 17 millions rien que pour la Grande-Bretagne. Cela représentait 12% de la population continentale et plus de 40% de la population britannique !
Alors que les chiffres de la migration mondiale, en 2000, doublaient par rapport à ceux de 1960, la population mondiale avait également doublé. La migration représentait approximativement une constante de 3%. Ce qui a récemment changé, c’est la direction de la migration, avec l’Europe devenant une destination.
Plus dur
Un autre mythe, favorisé par la droite, est que des règles de visa plus strictes réduisent l’immigration. En réalité, elles ont encouragé les gens à migrer de manière permanente, rendant très difficile la possibilité de retourner dans leur patrie. Aux Etats-Unis, moins de Mexicains sont rentrés chez eux après que les contrôles aux frontières sont devenus plus stricts. Les Marocains qui avaient l’habitude de faire la navette pour se rendre en Espagne et en Italie, pour un travail saisonnier, étaient forcés de choisir de s’établir en Europe lorsque les visas furent introduits dans les années 90. Des Surinamiens affluèrent aux Pays-Bas plus nombreux que jamais lorsque les visas furent introduits en 1980 : 39.000 en 1973, 145.000 en 1981. Plus récemment, des contrôles plus stricts d’un côté de la frontière européenne n’ont simplement créé qu’un plus grand nombre de personnes tentant de traverser de l’autre côté ; ce que l’on nomme ‘l’effet du matelas d’eau’.
Un troisième mythe, souvent brandi par les gauchistes, était que l’aide au développement réduirait l’émigration. Pourtant, des recherches indiquent le contraire : plus de développement entraîne une plus grande émigration. Les gens plus pauvres ne peuvent tout simplement pas se permettre de voyager. A mesure que les revenus augmentent, l’émigration augmente aussi.
Mes amis africains m’ont dit que l’aide au développement pouvait aussi avoir un impact négatif. Elle a souvent sapé les cultures et les produits locaux, encouragé une mentalité passive et découragé l’esprit d’entreprise et le développement des compétences et des connaissances locales. Souvent, le développement est assorti de conditions strictes, telles que l’accès aux ressources minérales ou le remboursement dans des conditions favorables au donateur européen.
Diaspora
Un débat sain et informé, sur le rôle des migrations, fait malheureusement défaut en Europe. L’une après l’autre, les nations semblent fléchir les genoux, apaisant les prophètes de malheurs. L’OCDE a publié un rapport utile pour sensibiliser les gens aux avantages de la migration et pour encourager les politiques à en profiter, tant pour les pays d’accueil que pour les migrants eux-mêmes.
Selon le rapport, les migrants représentent une augmentation de 70% de la main-d’œuvre en Europe au cours des dix dernières années. Ils occupent une place importante, aussi bien dans les secteurs de l’économie en pleine croissance qu’en déclin. Les jeunes migrants sont mieux éduqués que les ‘natifs’ proches de l’âge de la retraite. Et ils contribuent de manière significative à la flexibilité du marché du travail, absorbant les chocs de l’évolution de l’emploi dans les différents pays.
La migration a stimulé le nombre de travailleurs et abaissé l’âge moyen, une nécessité absolue pour l’économie d’une Europe confrontée à un hiver démographique, selon le rapport de l’OCDE. Ils amènent des compétences et contribuent au développement du capital humain, aussi bien qu’au progrès technologique.
Mais les migrants sont des parasites, entendons-nous souvent, vivant de notre protection sociale. Ce n’est pas vrai, affirme le rapport : ils contribuent, de manière générale, plus aux impôts et aux cotisations sociales qu’ils ne reçoivent en avantages sociaux. Même les immigrants peu instruits ont une meilleure position fiscale – la différence entre leurs contributions et les avantages qu’ils reçoivent – que leurs homologues autochtones. Et s’ils ne l’ont pas, c’est parce qu’ils ont souvent des salaires plus bas et tendent donc à contribuer moins, ce qui n’est pas dû à une plus grande dépendance à l’égard des prestations sociales.
Les Européens parlent de migration, les Africains parlent de la diaspora. Mes amis sénégalais expliquaient que la migration faisait partie de leur culture ancestrale. Quelque 4,5 millions d’Africains vivent au sein de la diaspora mondiale, et envoient 60 milliards d’euros dans leur pays chaque année. Se rendre en Europe ou en Amérique fait partie du rituel d’entrer dans l’âge adulte, de renvoyer de l’argent et de gagner du respect. Des familles et des amis ont vendu des biens personnels ou effectué des emprunts afin que le voyage soit possible. Les jeunes hommes de la photo ci-dessus, à l’aéroport de Dakar, viennent juste d’être renvoyés d’Europe, mais sont déterminés à essayer à nouveau. Se tenant ici en face du salon d’honneur (!), ils font face à la honte s’ils reviennent sans avoir obtenu du travail quelque part en Occident.
La migration est une industrie largement soutenue dans la société africaine et ne sera pas dissuadée par des murs, des contrôles aux frontières ou l’aide au développement dans un proche avenir.
À la semaine prochaine,