Certains disent qu’il a chargé le canon avec lequel Luther a tiré. D’autres revendiquent qu’il a pondu l’œuf que Luther a fait éclore. Quelle que soit l’analogie que vous préférez, Erasme de Rotterdam, le grand érudit ‘humaniste’, a certainement joué un rôle de catalyseur dans le déclenchement de la Réforme, pour le meilleur et pour le pire, à travers l’Europe.
Aujourd’hui, c’est la Fête de la Réformation, commémorant l’affichage des 95 thèses de Luther, contestant la pratique des ventes d’indulgences de l’Eglise catholique romaine, sur la porte de l’église du château à Wittenberg, en Allemagne, il y a exactement 499 ans : le 31 octobre 1517.
Prétendument.
La plupart des érudits actuels croient que ce scénario est une légende et non un fait. Luther lui-même n’a jamais écrit sur l’affichage de quoi que ce soit ce jour-là ; le premier rapport semble être venu après sa mort, écrit par le collègue de Luther, Philippe Melanchthon, qui n’est arrivé à Wittenberg que l’année suivante. Les érudits s’accordent cependant sur le fait que Luther écrivit le 31 octobre à ses supérieurs pour dénoncer la vente des indulgences de l’Eglise. La lettre comprenait ses 95 thèses.
La Fête de la Réformation est perçue communément comme commémorant le jour du début de la Réforme, qui a radicalement modifié le paysage européen. Mais, bien sûr, elle ne s’est pas simplement ‘produite’ avec les actions de Luther ce jour-là. La Réforme s’était préparée au travers d’une longue chaîne d’événements remontant à des siècles auparavant et qui a continué profondément, durant le seizième siècle.
Satire
Ceci nous ramène à Erasme. La semaine dernière marqua son 550ème anniversaire (en 1466), ou peut-être son 547ème (en 1469), ou quelque chose entre les deux – les experts diffèrent sur l’année de sa naissance. Ce samedi – entre son anniversaire et la Fête de la Réformation – fut donc une bonne journée pour réfléchir au rôle d’Erasme dans la Réforme. Nous avons organisé une excursion depuis notre nouveau Salon Schuman à Bruxelles jusqu’à la Maison d’Erasme à Anderlecht, aujourd’hui un faubourg de Bruxelles, mais, il y a 500 ans, un village dans la campagne des Pays-Bas.
Erasme est venu séjourner dans cette maison, en 1521, après avoir été chassé de la cité universitaire de Louvain, par ceux qui l’accusaient de soutenir Luther. C’était juste quelques semaines après le procès de Luther, à Worms, lorsqu’il fut déclaré hérétique et excommunié. Luther avait été rapidement emmené au château de Wartburg en secret par ses amis. Il avait commencé la traduction de sa Bible en allemand lorsqu’Erasme arriva à Anderlecht.
Parmi les nombreux manuscrits originaux exposés à Anderlecht figurait la satire la plus populaire et célèbre de l’érudit, L’éloge de la folie, parfois considérée comme le premier catalyseur de la Réforme. Il l’écrivit en 1509, pendant qu’il voyageait de l’Italie vers l’Angleterre, afin de rendre visite à son ami Thomas More, dont le nom en latin, Moria, signifie ‘folie’. Le titre pourrait dès lors aussi être lu comme L’éloge de More. La satire se moquait des hypocrisies et des corruptions de l’Europe chrétienne. Erasme utilisa le dispositif habile de permettre à la Folie de déclarer le « scandaleux » sans directement s’incriminer lui-même.
Remarquant que Pierre avait dit au Seigneur : « Nous avons tout quitté pour toi », La Folie d’Erasme se vantait « qu’il n’y a presque aucun genre de personnes vivant plus à leur aise » que les successeurs des apôtres. « Ils ne sont pas intéressés à être comme Christ, mais à être différents les uns des autres » explique la Folie « Une grande partie de leur bonheur dépend de leur nom. Il y a les bénédictins, les cisterciens, les Brigittines, les augustiniens, les Williamites et les jacobins ; comme si ce n’était pas assez d’être appelés chrétiens. »
Source de vie
Un autre manuscrit exposé à la Maison d’Erasme est le Nouveau Testament grec de l’érudit, avec une traduction parallèle en latin – parfois appelée le deuxième catalyseur de la Réforme. Une des raisons pour laquelle Erasme choisit de séjourner à Anderlecht, était la collection de manuscrits grecs qui était là-bas, et qui l’aurait aidé dans sa révision de son Nouveau Testament, imprimé pour la première fois, en 1516, à Bâle.
Erasme a vu ceci comme l’œuvre la plus importante de toute sa carrière. Le plus grand besoin de son temps, croyait-il, était de retourner aux racines, à la source de la vie et de la société européenne : les Evangiles, les lettres des apôtres et les enseignements des pères de l’église primitive. Il a vu la nécessité de corriger les erreurs dans la traduction latine de Jérôme, la Vulgate, datant du quatrième siècle, qui était la Bible ‘autorisée’ de l’Eglise.
L’œuvre d’Erasme, avec les colonnes parallèles en grec et en latin, et un commentaire soulignant les erreurs communes dans l’interprétation de la Bible – ce qui aurait pu lui coûter la vie – inspira Luther lorsqu’il travailla, à son tour, sur la traduction allemande. Elle inspira plus tard la traduction anglaise de William Tyndale, et d’autres traductions dans les langues européennes, au cours des siècles suivants.
Au départ, Erasme apporta un soutien nuancé à Luther, lui écrivant en 1519 sur un ton poli et bien disposé. Cependant, la tactique de confrontation du moine allemand, son intransigeance, et son style provocateur alarmèrent Erasme qui finit par voir Luther comme une menace pour l’unité de l’église. Alors qu’Erasme était trop protestant pour beaucoup de catholiques, il restait trop catholique pour beaucoup de protestants, comme Luther – qui finit par l’appeler ‘un athée secret’.
Luther a peut-être fait éclore l’œuf pondu par Erasme, mais – comme on dit – le résultat n’était pas l’oiseau qu’Erasme avait espéré.
À la semaine prochaine,