Comme tout le monde le sait, vendredi dernier (le 9 mai), c’était la Journée de l’Europe, ce qui a provoqué des fêtes délirantes dans toute l’Union européenne, avec des feux de joie, des feux d’artifices et des nuits dansantes.
En fait, pas vraiment. Je doute même si quelques fonctionnaires dans leurs bureaux à Bruxelles ont allumé des cierges durant l’heure du midi.
Et donc, qu’est ce que la Journée de l’Europe commémore exactement ?
En réalité, il y a une histoire magnifique de pardon et de réconciliation derrière la Journée de l’Europe, une histoire sur laquelle nous ferions bien de nous pencher et d’y réfléchir. Peut-être que vous m’avez déjà entendu parler de ceci auparavant, mais cela vaut la peine d’être raconté annuellement autour du 9 mai.
Nous reprenons l’histoire vers la fin de la Seconde guerre mondiale, quand nonante-cinq familles chrétiennes suisses ont mis en commun leurs économies pour acheter un hôtel abandonné dans les montagnes sur les hauteurs de Montreux surplombant le Lac de Genève. Leur vision était d’ouvrir un Centre pour la Réconciliation des Nations, un refuge d’espoir. Durant les quelques années qui suivirent, des milliers de politiciens et autres dirigeants de toute l’Europe et du monde entier allaient visiter cet endroit.
Derrière cette vision et le mouvement connu comme Réarmement moral, était un homme appelé Frank Buchman. Un évangéliste avec un impact mondial, Buchman était profondément conscient du besoin de réconciliation entre les nations d’Europe, et en réalité du monde entier. Il savait que si l’Allemagne n’était pas acceptée par le pardon et la réconciliation chrétiens, les forces impies de l’anarchie et du communisme allaient remplir le vide d’après-guerre.
Lors d’une des conférences estivales immédiatement après la guerre, il avait invité une dame française appelée Irène Laure, une membre socialiste de la Résistance, dont le mari et les enfants avaient été tués par les Allemands. Mais lorsque Madame Laure découvrit les Allemands présents lors de cette conférence, elle partit en trombe pour refaire ses valises.
Buchman la persuada d’avoir d’abord un repas avec une de ses amies, la veuve allemande d’Adam von Trott, conspirateur avec Dietrich Bonhoeffer du complot avorté de tuer Hitler. Madame Laure écouta à contrecœur l’histoire de Frau von Trott, de la manière dont son mari avait été pendu par les Nazis, et comment ses enfants lui avaient été enlevés, avaient reçu de nouveaux noms et furent placés dans des maisons pour enfants. Alors que les deux femmes partageaient leurs souffrances mutuelles, elles s’étaient réconciliées dans les larmes.
Le jour suivant, Madame Laure confessa auprès de la conférence entière : « J’ai tellement détesté l’Allemagne que je voulais la voir effacée de la carte de l’Europe ! Mais j’ai vu ici que ma haine était injuste. Je souhaite demander à tous les Allemands présents de me pardonner. »
Ces Allemands faisaient partie des premiers de plus de 3000 citoyens de premier plan à recevoir une permission spéciale par les autorités alliées de voyager en Suisse pour y rencontrer leurs homologues d’Europe et d’autres continents. Le message du pardon et de la réconciliation enseigné par Buchman et démontré par Irène Laure les toucha profondément. Ils invitèrent Madame Laure à venir s’adresser auprès des différents parlements régionaux.
L’année suivante, Dr. Konrad Adenauer, le futur chancelier allemand, figurait parmi les visiteurs. Celui-ci invita des équipes du Réarmement moral à apporter le message du pardon en Allemagne à travers des spectacles musicaux itinérants. Dans la région fortement industrialisée de la Ruhr, beaucoup de syndicats marxistes furent convertis. Le résultat de la transformation morale était vu comme le facteur significatif de la reprise de l’Allemagne d’après-guerre.
Alsacien menteur !
Pendant ce temps-là, le Premier ministre français, Robert Schuman, avait entendu que des changements de cœur similaires se produisaient parmi les dirigeants industriels dans le nord de son pays, où les tensions menaçaient d’éclater en guerre civile. Il retraça ces changements auprès du Centre de Réconciliation des Nations. Et donc, en 1948, Schuman, qui comme Adenauer, était un fervent croyant, accepta de rencontrer Buchman. Le Français confia à Buchman qu’il était découragé, et qu’il envisageait la retraite. Pourtant, quelque chose lui disait que la tâche de sa vie devait encore venir, celle de réconcilier la France et l’Allemagne.
« Mais quels sont les Allemands en qui je puis avoir confiance ? » demanda-t-il à son nouvel ami. Buchman encouragea aussi bien Schuman qu’Adenauer (qui avait une fois insulté le Français d’Alsacien menteur) de se faire confiance l’un l’autre.
Cette confiance aboutit en un plan audacieux, proposé par Schuman, d’intégrer les industries du charbon et de l’acier de la France et de l’Allemagne, et de tout autre pays européen qui désirerait s’y joindre. Etant donné que ces industries auraient été les moteurs de toute machine militaire potentielle, des guerres futures entre les nations seraient rendues impossibles de manière permanente.
Adenauer interrompit une réunion de cabinet fédérale le même jour pour annoncer le plan : « Toute ma vie, je me suis battu pour réconcilier la France et l’Allemagne. Aujourd’hui, l’initiative généreuse de Robert Schuman honore tous mes espoirs. La proposition française est en tout point historique : elle restaure la dignité de mon pays et est une pierre angulaire pour l’union de l’Europe. »
Quelques semaines plus tard, Schuman nomma Buchman Chevalier de la Légion d’Honneur, en reconnaissance pour avoir aidé à « créer le climat dans lequel la nouvelle relation entre la France et l’Allemagne a été rendu possible. »
Ce Plan Schuman, présenté le 9 mai 1950, donna naissance à la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la CECA, la première étape majeure vers la formation de la Communauté économique européenne, qui a grandi pour devenir l’Union européenne d’aujourd’hui. L’anniversaire de cet événement est connu comme la Journée de l’Europe, célébrée annuellement dans toute l’Union européenne.
Voilà quelque chose qui vaut la peine de célebrer, vous ne pensez-pas ?
À la semaine prochaine,