Force, tromperies & valeurs

octobre 7, 2015

Cette semaine, j’ai appris un nouveau mot russe : Maskirovka. Dérivé du mot mascarade, il signifie littéralement ‘quelque chose de masqué’ ; une stratégie de tromperie, comme le cheval de Troie. Il a une longue tradition dans l’histoire militaire russe et semble être le mot favori du vocabulaire du président Poutine.

Vous souvenez-vous des hommes verts cagoulés qui apparurent soudainement en Crimée, l’an dernier, pour défendre ‘des résidents paisibles’ ? Ils étaient, comme le disait le Kremlin, simplement des membres de ‘groupes d’auto-défense’ locaux organisés, qui achetaient tous leurs uniformes et matériel dans un magasin. Ou bien le convoi de camions militaires peints en blanc apportant de l’aide humanitaire en Ukraine orientale ? Et maintenant arrive l’offre de Poutine de ‘s’associer avec l’Occident’ pour combattre l’Etat islamique, afin d’arrêter le flux de réfugiés en Europe.

Vendredi dernier, j’ai participé à un groupe de réflexion à La Haye conseillant le parti politique ChristenUnie (Union chrétienne) sur la politique de la défense. Cela ne relevait pas de ma compétence, mais ils souhaitaient quelqu’un ‘avec une perspective européenne’. J’ai donc accepté l’opportunité d’être poussé au-delà de ma zone de confort.

La discussion, nous rappela le président de séance, était sous ‘les règles de la Maison de Chatham’ : nous étions libres d’utiliser les informations partagées, mais pas d’en révéler les sources ; ceci afin d’encourager l’ouverture et le partage des informations.

Inconfortable

La plupart, si pas la totalité des quasi 20 participants, auraient tenu la position chrétienne traditionnelle, que les gouvernements avaient un droit légitime et le devoir d’utiliser la force pour la protection de leurs propres citoyens et de contenir l’effet du péché dans ce monde déchu. Mais comment notre foi chrétienne informe-t-elle notre réponse à la résurgence du nationalisme russe, la montée de la Chine en tant que superpuissance, et le chaos tragique d’un ‘printemps arabe’ raté ?

Les pasteurs et les missionnaires ne se préoccupent généralement pas de tels problèmes. C’est la tâche des politiciens et des soldats, n’est-ce pas ? Pourtant, si le Christ est absolument Seigneur, ne l’est-il pas sur tout, en matière politique ou de défense aussi ?

Tout en écoutant les deux orateurs, dont la tâche était d’amorcer la discussion, je me suis retrouvé confronté à des réalités inconfortables. L’un d’entre eux était un officier militaire à peine revenu du Mali où il y dirigeait une mission. L’autre était un analyste stratégique et un conseiller internationalement reconnu, rencontrant régulièrement des dirigeants militaires et politiques à Washington, Bruxelles et dans d’autres capitales du monde. Quelques jours auparavant, il prononça un discours lors d’une réunion de commandants de l’OTAN en Lettonie.

‘Les Européens promeuvent des valeurs’, commença-t-il. ‘Mais les valeurs sans la force sont (vous pouvez choisir le mot français approprié vous-même – note du traducteur). D’accord, il nous avait avertis qu’il allait être brusque.

‘Si nous voulons promouvoir les valeurs, nous avons besoin de la force’, continua-t-il. ‘Les menaces abondent. Les défis russes dans l’Arctique et le Grand Nord ; l’utilisation par Poutine de la maskirovka (voilà quand arriva le mot) stratégique, et la guerre ambiguë sur le flanc oriental de l’Europe ; l’Etat islamique et l’écroulement de l’ordre géopolitique du Moyen-Orient aux portes de l’Europe méridionale ; la cyber-pénétration d’un Schengen virtuel ; l’immigration massive incontrôlée et l’anarchie ; les tensions stratégiques avec des états antilibéraux nouvellement puissants, la course aux armements et leur prolifération, l’impérialisme américain, le crime organisé menaçant l’Etat…’

(Bien loooiiiin de ma zone de confort).

La plus grande menace, cependant, venait ‘d’une élite européenne, en manque d’évaluation, qui veut seulement voir le monde comme elle voudrait qu’il soit et non comme il est réellement’. Le résultat, expliquait-il, était une Europe dépourvue de jugement stratégique et incapable ou peu disposée à appliquer l’habileté politique ; une élite de Bruxelles ayant échoué, reculant constamment dans la litanie vide de sens de ‘toujours plus d’Europe’.

Je me sentais désormais totalement en perte d’équilibre. Une Europe ‘profondément enracinée dans des valeurs chrétiennes’ était la vision de Robert Schuman, et formait le cœur de la vision du Centre Schuman. Confronté à de telles réalités, est-ce qu’une telle vision était simplement naïve ?

Consternant

L’orateur termina avec un scénario qui donne à réfléchir: Nous sommes en 2022. Le budget de la défense américaine a de nouveau été réduit, de 600 milliards de dollars en 2015, à 460 milliards de dollars. Une crise dans la région Asie-Pacifique avec la superpuissance montante de la Chine force les Etats-Unis à engager la plus grande partie de ses forces là-bas. En Europe, le régime de Poutine est sous pression comme l’économie de la Russie est chancelante. Poutine voit une opportunité de raviver le nationalisme russe. Ayant déstabilisé les états baltes durant les dernières années, il cherche à étendre son territoire, comme dans le cas de la Crimée. L’OTAN et l’UE essayent de répondre. Mais les Etats-Unis sont trop mobilisés à l’est. Les Européens doivent réagir comme premiers intervenants. Mais ils sont trop faibles. Poutine offre à l’ouest un choix : échanger du territoire contre du temps. Voulez-vous une guerre majeure avec la Russie pour quelques petits états baltes ?

Réaliste et inquiétant.

Sur la route du retour de La Haye vers la maison, je me demandais à quel point nos valeurs de paix, de solidarité, d’égalité et de liberté étaient-elles profondément enracinées. Si vraiment nous y étions forcés, serions-nous préparés à les défendre ? Croyons-nous réellement en ces valeurs si nous ne sommes pas préparés à investir dans la force nécessaire pour les protéger ?

Ces valeurs ne sont cependant pas une fin en soi. Elles sont enracinées dans une réalité bien plus profonde, la Réalité Ultime. Et en fin de compte, c’est là où notre confiance doit reposer.

Il y a plusieurs siècles, un soldat-politicien victorieux du Moyen-Orient écrivit les mots suivants du Psaume 20 :

Que le Seigneur te réponde quand tu es dans la détresse ; que le nom du Dieu de Jacob te protège. Certains font confiance dans leurs chariots et d’autres dans leurs chevaux, mais nous faisons confiance dans le nom du Seigneur notre Dieu.


À la semaine prochaine,

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