Luther était-il un populiste?

janvier 16, 2017

r‘Luther’ et ‘populisme’ sont deux mots que nous rencontrerons fréquemment cette année. En ce 500ème anniversaire du début de la Réforme, les populistes devraient influencer les élections dans une quinzaine de nations européennes.

Inévitablement, la revendication que Luther était un populiste sera répétée. Et donc, l’était-il ? Cela dépend de ce que nous entendons par ‘populisme’.

Une définition du dictionnaire se lit comme suit : soutien aux préoccupations des gens ordinaires, ou la qualité d’être attrayant pour ou de cibler les citoyens ordinaires. Rien de mal avec cela. Les populistes peuvent être de gauche, de droite ou du centre. Aucune conjoncture économique ou sociale identifiable ne lui donne lieu. Il ne se limite pas à une classe sociale particulière.

Emotion

Aujourd’hui, le terme ‘populisme’ est souvent perçu comme cherchant à plaire à un public aliéné (‘les hommes et les femmes oubliés’) à travers une rhétorique séduisante ou des promesses irréalistes et simplistes (‘Faisons à nouveau de la Grande-Bretagne/de l’Amérique une grande nation’), et prétendant prendre leur parti contre un establishment élitiste qui n’a pas réussi à livrer les marchandises (‘Enfermez-la !’). Il vise à construire un soutien populaire suffisant pour obtenir le pouvoir politique (‘reconquérir notre pays’) et à déplacer les pouvoirs corrompus qui existent (‘assécher les marais’). Le populisme s’épanouit en période d’incertitude, de chômage et de difficultés, cherchant des boucs émissaires pour tous les maux de la société (‘Les Juifs, les tziganes, les homos, les Marocains, les musulmans, les Mexicains, les réfugiés, les experts…’). Ce genre de populisme polarise la société (‘nous contre eux’).

Les populistes saisissent les opportunités d’utiliser la technologie la plus récente pour transmettre leur message aux masses, court-circuitant les médias traditionnels souvent identifiés avec l’establishment. Les médias sociaux, spécialement Twitter, est devenu le moyen favori pour les populistes de répondre immédiatement aux derniers développements et de garder l’initiative. Les populistes utilisent souvent un langage ‘politiquement incorrect’, parlant le langage de l’homme de la rue, sans crainte de se confronter, d’offenser et d’aliéner, en évitant les politesses diplomatiques.

Les populistes font appel plus à l’émotion qu’à la raison, et dans les pires cas, manipulent délibérément leur public par la propagande, ce que tout le monde appelle désormais ‘les fausses nouvelles’. On dit souvent que la première victime de la guerre est la vérité. Mais 2016 a vu une telle utilisation répandue de slogans émotionnels avec peu de rapport à la réalité que ‘post-vérité’ a été choisi comme le mot de l’année des dictionnaires Oxford – décrit comme ‘un adjectif défini comme se rapportant ou dénotant des circonstances dans lesquelles les faits objectifs sont moins influents dans l’opinion publique que l’appel à l’émotion et à la conviction personnelle’. Alors que le concept de post-vérité existe depuis une décennie, les dictionnaires Oxford ont observé ‘un pic de fréquence cette année dans le cadre du referendum de l’Union européenne au Royaume-Uni et de l’élection présidentielle aux Etats-Unis’.

Force motrice

Donc, Luther était-il un populiste ? Il n’était pas un politicien cherchant le soutien populaire. Il n’avait aucune ambition politique. Il ne s’est jamais présenté pour un poste politique. Il était un théologien, un prêtre, un prédicateur, un professeur, un écrivain et un traducteur de la Bible. Et pourtant ses conversations, ses actions et ses écrits ont eu des répercussions politiques profondes qui ont remodelé la carte politique de l’Europe.

Son message, bien que n’étant pas en premier lieu destiné au public, remua certainement les masses. Après la publication de ses 95 Thèses, des foules se rassemblèrent pour le saluer lors de ses voyages. À son arrivée à Worms pour son procès, il fut escorté jusqu’à son logement par deux milles partisans. Un écrivain contemporain interrogea des gens dans des auberges autour du territoire et rapporta que trois personnes sur quatre auxquelles il parla, soutenaient Luther.

Son attitude courageuse galvanisa l’imagination populaire et fut souvent reprochée d’inspirer la sanglante révolte des paysans de 1524-26, le résultat d’une série tumultueuse de griefs dans de nombreuses sphères différentes : politique, économique, sociale et théologique. Pourtant, Luther finit par se joindre à  ‘l’autorité légale’ des bourgeois, de la noblesse et des princes, prêchant le progrès paisible et la résistance passive. Aucune circonstance ne justifiait l’utilisation de la violence au nom de l’Evangile, selon lui.

Alors que son utilisation révolutionnaire et puissante de la nouvelle technologie de l’imprimerie, son langage parfois vulgaire, l’appel aux masses et l’opposition aux ‘élites corrompues’ de l’église et de l’empire résonnent certainement avec l’image populiste, son but était de réformer, et non de renverser, l’ordre établi. Même lorsqu’il fut excommunié, Luther voyait la nouvelle structure de l’église comme une mesure d’urgence. Malgré l’accent mis sur le sacerdoce de tous les croyants, il conserva le rôle d’évêque. Il n’avait jamais eu l’intention de rompre avec Rome, comme les populistes européens veulent aujourd’hui rompre avec Bruxelles.

Luther était attaché à la vérité divine, pas à la manipulation émotionnelle. L’impulsion de sa vie fut la recherche de la grâce de Dieu, comme le Pape Benoît XVI l’a souligné lorsqu’il visita le monastère de Luther à Erfurt, en 2011. Son accent sur la Bible comme étant la Parole de Dieu, l’Eglise comme étant le Peuple de Dieu, le sacerdoce de tous les croyants, la confession du Christ crucifié, et la liberté individuelle de conscience et de foi, ont été officiellement adoptés par l’Eglise de Rome, après 500 ans. Une chose que Luther se réjouirait de voir.


À la semaine prochaine,

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