Une Espagne très divisée est confrontée à une grave crise constitutionnelle qui pourrait conduire à la fin de cette nation telle qu’on la connaît.
Vu de loin, cela peut être difficile de savoir quel camp soutenir : la lutte de la Catalogne ’opprimée’ pour se libérer du contrôle ‘oppressif’ de Madrid, ou une ‘légitime démocratie parlementaire nationale’ dont la responsabilité est de maintenir l’Etat de droit ?
Nous sommes habitués à regarder le FC Barcelone affronter son rival, le Real Madrid, mais cette compétition-ci n’est pas un jeu. L’utilisation madrilène de tactiques de sécurité qui rappellent l’époque fasciste de Franco, lui a valu un carton jaune le week-end dernier aux yeux de plusieurs. Les deux camps sont allés au-delà du dialogue et du débat, vers la polarisation.
La Catalogne est elle-même très divisée. Alors que plus de deux millions ont voté pour la séparation la semaine dernière, la plupart des électeurs ont boycotté le referendum illégal. Ils ont pris position hier lors de la grande manifestation pour l’unité.
Le populisme a en grande partie réduit au silence la raison et a écrasé les modérés, explique Francisco de Borja Lasheras, du bureau de Madrid du European Council on Foreign Relations (Conseil européen des relations internationales). L’influence populiste sur le pouvoir catalan a mené à une montée des discours haineux.
Il met en garde contre la condamnation du nationalisme dans d’autres pays tout en tombant dans le piège romantique du ‘nationalisme catalan et de sa post-vérité trumpesque.’ Une déclaration d’indépendance catalane, dit-il, réduirait les droits des autres catalans, sans parler de ceux des autres Espagnols.
Cas d’étude
La réticence, à la fois des dirigeants espagnols et catalans à faire attention à leurs propres minorités, fait de la situation un cas d’étude de la préoccupation de Rowan Williams, comme nous l’écrivions la semaine dernière, qu’une démocratie morale devait laisser la place au débat et à la persuasion.
Avec le président du gouvernement régional catalan menaçant de déclarer l’indépendance, la crise arrive à ébullition.
Deux de mes collègues basés en Espagne offrent les perspectives suivantes :
- Curtis Clewett à Barcelone:
Les deux dirigeants en question, Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol, et Carles Puigdemont, président du gouvernement régional catalan, ont adopté des positions immuables et opposées. Le conflit a évolué, de querelles et négociations politiques normales en blessures interculturelles profondes et en violences potentielles, au moment où le gouvernement central envisage de révoquer toutes les institutions catalanes (Parlement, force de police, finances) tandis que le président catalan envisage une déclaration unilatérale d’indépendance ce mardi. Tout ceci serait une farce si ce n’était pour des dizaines de milliers de forces de sécurité qui ont convergé vers la Catalogne. Une querelle historique s’est transformée en un divorce potentiel dans lequel chaque « parent » revendique la position de supériorité tout en négligeant l’impact potentiellement dévastateur sur ceux qu’ils servent. Il est intéressant de constater que ni Mariano Rajoy, ni Carles Puigdemont ont une solide majorité électorale. Priez pour la paix de notre région et afin que des voix claires et sereines prévalent.
- Gary McKinney à Madrid:
La région de Catalogne n’a jamais existé en tant qu’entité politique indépendante. Il n’y a pas « d’union », comme au Royaume-Uni. La Catalogne est à l’Espagne ce que le Roussillon est à la France ou les Cornouailles à l’Angleterre.
L’Espagne est une démocratie parlementaire, avec une constitution qui peut être modifiée. Un vote pour une sécession territoriale nécessiterait une telle modification, ainsi que le soutien d’une majorité qualifiée d’Espagnols. Lors des dernières élections régionales, les partis pro-sécession ont décidé de s’unir autour d’une seule question – l’indépendance – et non seulement ils n’ont pas réussi à gagner une majorité de voix, mais ont aussi perdu des voix par rapport aux élections précédentes. Les sondages, même ceux payés par les séparatistes, montrent que le soutien pour l’indépendance est une minorité et en déclin.
La Catalogne n’est pas « opprimée ». C’est l’une des régions les plus prospères d’Espagne et ses citoyens jouissent d’un niveau de vie élevé et d’un des plus hauts degrés d’autonomie de n’importe quelle région d’Europe.
Alors pourquoi cette agitation ? Pendant que l’économie s’améliore et que le soutien pour l’indépendance diminue, les séparatistes ont peur de « rater le train » et, en brisant les lois espagnoles et régionales, se sont embarqués dans une campagne pour présenter le gouvernement central comme « mauvais » pour ne pas permettre la tenue d’un referendum régional qui n’est pas conforme à la constitution (approuvée massivement dans toute l’Espagne, y compris la Catalogne).
Pourtant, le gouvernement catalan n’est pas le seul à blâmer. Le gouvernement central a permis au mouvement d’indépendance de prospérer en n’étant pas politiquement intelligent avec l’application des règles et de la loi et en leur donnant le pouvoir lorsque cela lui convenait, sans se préoccuper des conséquences à long terme.
Certains d’entre nous peuvent être tentés de pousser toutes ces préoccupations ‘mondaines’ en dehors de notre conscience. Après tout, cela fait partie d’un monde qui est condamné à disparaître, n’est-ce pas ?
Oubliez alors la prière du Notre Père. Car en celle-ci, Jésus nous enseigna à prier afin que le règne de Dieu vienne, c’est-à-dire, que sa volonté soit faite sur terre, en Europe, en Espagne et en Catalogne.
Encore une fois, comme nous le rappelait Williams, la démocratie implique une vision de la communauté semblable au Corps de Christ, où lorsqu’une partie souffre, tout le monde souffre.
Nous devrions tous ressentir la douleur en Espagne.
À la semaine prochaine,