Samedi, c’était le jour de la Saint-Patrick. Et c’était un grand jour pour les Irlandais. Des supporters, vêtus de vert, étaient rassemblés partout dans les pubs irlandais pour regarder leur équipe nationale de rugby jouer contre l’Angleterre, lors du dernier match du Tournoi des Six Nations.
Bien que l’Irlande avait déjà remporté le championnat, la semaine précédente, l’Angleterre cherchait désespérément à racheter sa réputation après deux défaites d’affilée, et de refuser à l’Irlande l’honneur de gagner un Grand Chelem.
Kitty O’Shea’s, le pub irlandais situé en face du bâtiment de la Commission européenne à Bruxelles, n’a pas fait exception. Après la première session du Cours des études européennes, juste un peu plus loin du Salon Schuman, je suis entré dans le pub exactement au moment où un rugissement montait pour célébrer le premier de ce qui allait devenir trois essais – et une victoire convaincante.
Quittant à la mi-temps pour aller prendre mon train pour retourner à Amsterdam, je jetais un coup d’œil sur les bâtiments de l’Union européenne surplombant la gare Schuman, au cœur du quartier européen. Y aurait-il même eu une Union européenne, ou une Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui, sans un Saint-Patrick ? songeais-je.
Peut-être que tous les Européens devraient être reconnaissants pour le raz-de-marée spirituel qui balaya l’est, de ce que Patrick lui-même considérait comme étant ‘les confins de la terre’ : son pays d’adoption de l’Irlande. Car, comme nous l’avions découvert plus tôt ce jour-là, durant notre cours, ce tsunami avait balayé la Grande-Bretagne, jusqu’à ce qui est aujourd’hui la France, le Benelux, l’Allemagne, pour se poursuivre vers la Suisse et au-delà des Alpes vers l’Italie septentrionale.
Peu de personnes, ce samedi, auraient levé leur Guinness à la révolution spirituelle que la mission de Patrick déclencha en 432 après J.C., transformant une île de païens en ‘l’île des saints et des érudits’. Mais cela vaut la peine de prendre un moment pour réfléchir sur ce à quoi l’Europe aurait pu ressembler sans l’influence chrétienne celte qui commença avec Patrick.
Erudition
Le titre du livre populaire de Thomas Cahill, How the Irish saved civilization (Comment les Irlandais ont sauvé la civilisation), affirme avec hardiesse que la conversion des Irlandais a eu des conséquences énormes pour la société occidentale, après la chute de l’Empire romain et la perte ultérieure des connaissances classiques.
Les communautés monastiques que les Celtes établirent, d’abord en Irlande, puis en Ecosse, ainsi qu’en Angleterre et sur le continent, devinrent des centres d’apprentissage, de culture et d’érudition. Des bibliothèques furent établies où les manuscrits ayant survécu à la chute de l’Empire romain furent minutieusement recopiés. Les monastères devinrent les dépositaires des grandes œuvres de la littérature occidentale.
Les Irlandais furent les premiers à séparer les mots sur la page imprimée, à inventer les lettres minuscules et à concevoir des paragraphes. Ils produisirent les magnifiques livres de Kells, de Durrow et beaucoup d’autres chefs-d’œuvre. Les illustrations comprenaient des chats, des souris, des oiseaux et d’autres animaux dans un sens de l’humour espiègle, presque irrévérencieux. Mélangeant des motifs chrétiens et celtes, les manuscrits unissent la beauté des deux cultures, reflétant le génie de Patrick pour améliorer plutôt qu’effacer la culture préchrétienne.
Cahill souligne que les historiens se concentrent souvent sur les périodes classiques ou médiévales, mais oublient le lien celtique vital entre les deux : « sans la mission des moines irlandais qui, à eux seuls, ont refondé la civilisation européenne à travers le continent dans les difficultés de leur exil, le monde qui arriva après eux, aurait été complètement différent – un monde sans livres. Et notre propre monde ne serait jamais devenu ce qu’il est. »
La mission audacieuse de Patrick, en Irlande, fut suivie par les missions de Colomba sur l’île d’Iona et chez les Scots ; Aidan, Chad et d’autres à Lindisfarne et chez les Anglais ; Colomban et Gall en France, en Autriche, en Suisse et en Italie ; et Magne en Allemagne méridionale, pour n’en nommer que quelques-uns. Le dynamisme missionnaire s’est poursuivi après l’assimilation de l’Eglise celte à l’Eglise romaine au 7èmesiècle, avec Willibrord atteignant les Frisons et Boniface les Saxons allemands.
(Au fait, vous pouvez toujours nous rejoindre pour les sessions restantes du Cours des études européennes aussi bien à Amsterdam qu’à Bruxelles.)
Trèfle
Cet été, Romkje et moi-même emmènerons de nouveau un groupe de pèlerins modernes pour le Tour de l’héritage celte, du 30 juin au 12 juillet, pour suivre les traces de Patrick et pour en apprendre plus au sujet de l’influence des Celtes irlandais et d’autres qui ont façonné l’Irlande, la Grande-Bretagne et l’Europe, à travers leur foi. (Le tour est presque complet mais nous espérons pouvoir le proposer à nouveau en 2020 ainsi que le Tour de l’héritage continental l’an prochain.)
Finalement, pourquoi le vert ? Vous ne vous poseriez pas la question si vous aviez déjà visité l’Île d’Emeraude où le climat pluvieux maintient la végétation luxuriante. Et il y a le trèfle à trois feuilles, la plante sacrée des druides, fièrement arboré sur les maillots de rugby des nouveaux champions du Tournoi des Six Nations, et par lequel on croit que Patrick aurait illustré le concept de la Trinité.
Qu’il l’ait vraiment fait ou pas n’a aucune importance pour les Irlandais. Tant que c’est une bonne histoire.
À la semaine prochaine,