Une chose manque dans nos calendriers européens.
Ce samedi soir, les Néerlandais ont célébré la fin de la Deuxième Guerre mondiale avec un concert royal en plein air donné sur le fleuve Amstel s’écoulant dans le cœur d’Amsterdam. C’était une magnifique et chaude soirée, et une commémoration appropriée proclamant le message : transmettez la liberté !
Pourtant, la fin des hostilités n’avait pas signifié le retour immédiat de la paix et de la prospérité. D’autres nations européennes commémorent le même événement à d’autres dates et de manières différentes. Pendant que pour certains, cela signifiait la libération réelle et un nouveau départ, pour d’autres, cela signifiait une répression prolongée sous une nouvelle tyrannie.
Pour la plupart, cela signifiait être aux prises avec un syndrome d’anxiété post traumatique. Les vies d’innombrables personnes, des familles, des villes et des nations avaient été déchirées. La haine et la méfiance, la suspicion et la peur, la perte et le chagrin, la douleur et la confusion, l’anxiété et le désespoir étaient répandus telle une lourde couverture sur tout le continent.
Nous oublions trop souvent à quel point les conditions en Europe étaient terribles durant les années immédiates d’après-guerre. Le vieux monde avait été détruit, le nouveau devait encore être reconstruit. C’était une période d’horreurs et de cruautés, de vengeance atroce sur les collaborateurs, de myriade de marchés noirs et de tribunaux de crime de guerre, de révélations d’holocauste et de vivre avec une bombe atomique. Staline resserrait son étreinte sur l’Europe centrale et incitait des grèves par le biais des syndicats afin de paralyser les démocraties occidentales.
La statue graphique du sculpteur français Zadkine (voir photo), représentant le cœur de Rotterdam ravagé par le blitzkrieg d’Hitler de mai 1940, pourrait aussi représenter la condition générale de l’Europe après le cessez-le-feu. C’était l’Europe depuis laquelle plusieurs milliers de personnes émigrèrent durant les années d’après-guerre, vers la sécurité de l’Amérique du Nord, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Qui a renversé la situation ?
Nous savons donc qui a gagné la guerre. Mais est-ce suffisant de célébrer sa fin ? Qui a gagné la paix ? Qui a renversé la situation, du désespoir à l’espoir, de la vengeance à la réconciliation, de la haine à l’amour ?
Ceci est l’histoire manquante dans nos calendriers : une histoire sur la pose des fondations de pardon sur lesquelles une nouvelle Europe pouvait être construite ; sur le fait de rendre la guerre impensable, tout d’abord entre la France et l’Allemagne.
C’est une histoire d’un processus lent de petits pas, mais malgré tout significatifs, vers la construction d’une Europe comme meilleur endroit, où les peuples travaillent ensemble au lieu de l’un contre l’autre. Car ne sommes-nous pas de meilleures nations lorsque nous recherchons le bien commun plutôt que ‘mon pays d’abord !’ ?
Les lecteurs réguliers de la pensée de la semaine savent que cette histoire commença le 9 mai 1950, lorsque Robert Schuman annonça un plan d’abolir la guerre en Europe. En tant que ministre français des Affaires étrangères, il proposa que la France et l’Allemagne mettent ces industries nécessaires à la création d’une machine de guerre – du charbon et de l’acier – sous une autorité supranationale afin qu’aucune de ces nations puisse se réarmer indépendamment.
Ce plan pratique, aux dimensions économique et politique, avait des racines spirituelles, comme Schuman l’écrivit plus tard, exprimant sa motivation politique :
- L’Europe ne pourra et ne devra pas rester une entreprise économique et technique : il lui faut une âme.
- « Aimer son prochain comme soi-même » était un principe démocratique qui, appliqué aux nations, signifiait être préparé à servir et à aimer les peuples voisins.
- Appliqué à la communauté des peuples, le pardon et la réconciliation, même avec ceux considérés en ce moment comme des ennemis, étaient des impératifs chrétiens.
- L’esprit européen signifie d’être conscient d’appartenir à une famille culturelle et d’avoir la volonté de servir cette communauté, dans un esprit de réciprocité totale.
Affiché au grand jour
Schuman comprenait combien les nations avaient besoin d’un sens d’identité, d’autonomie et d’auto-détermination d’un côté, mais aussi d’un sens d’interdépendance et d’appartenance à quelque chose de plus grand de l’autre. Ceci signifiait que les petites nations auraient les mêmes droits à la liberté, à la sécurité et à l’appartenance à une communauté de peuples plus grande au même titre que leurs plus grands voisins.
Ces idées ont mené à la communauté de peuples d’aujourd’hui, au sein de laquelle les nations anciennement sous la domination de Staline ont aspiré à rejoindre. Même si beaucoup l’ont fait, certains – comme l’Ukraine – souhaitent toujours le faire.
C’est une histoire que nous devons mettre dans nos calendriers, et que nous devons répéter annuellement envers chaque génération, dans le but de ‘transmettre la liberté’. Nous devons afficher le 9 mai, la journée de l’Europe, au grand jour, dans la conscience publique. Même si c’est une journée officielle de congé pour les fonctionnaires de l’Union européenne, elle reste un des secrets les mieux gardés dans beaucoup de pays, y compris aux Pays-Bas.
Vous pouvez trouver différentes manières de marquer ce jour sur www.may9.eu. Permettez-moi de vous encourager à prendre le temps de regarder ce mercredi – de préférence avec d’autres personnes – le court film, Schuman, une vision pour l’Europe ; ou For the love of tomorrow, au sujet d’Irène Laure, une membre de la résistance française qui détestait amèrement les Allemands, et qui devint ensuite une porte-parole de premier plan pour le pardon et la réconciliation.
Ce mercredi, faisons quelques petits pas, malgré tout significatifs, afin d’aider à remettre cette histoire dans le calendrier européen.
Transmettez la liberté !
À la semaine prochaine,