Pour beaucoup, ce week-end a été un temps pour pleurer : les jeunes Britanniques se sentant trahis par leurs aînés, les Ecossais, beaucoup d’Irlandais du Nord faisant face à la perspective d’un retour d’une frontière avec le sud, le million d’Européens vivant à Londres, les millions d’autres Européens vivant en Grande-Bretagne, les 2,2 millions d’expatriés britanniques vivant ailleurs dans l’Union européenne, la population de Gibraltar… et beaucoup de ‘leavers’ (camp du départ) qui se réveillent lentement face à l’énormité de ce qu’ils ont voté et la vacuité des promesses auxquelles ils ont cru.
Tomas Halik, prêtre et professeur à Prague, et orateur principal au Forum sur l’état de l’Europe, l’an dernier, à Riga, a écrit une lettre ouverte à la Grande-Bretagne, la semaine dernière, disant que ses compatriotes tchèques avaient des souvenirs douloureux de 1938, lorsque la voix de l’isolationnisme, insistant sur « l’intérêt national », avait prévalu en Grande-Bretagne. Le Premier ministre Chamberlain avait alors rejeté la solidarité avec la Tchécoslovaquie – ‘un pays lointain… un peuple dont nous ne savons rien’. « Citoyens de Grande-Bretagne, je vous prie de choisir avec audace le rejet de la tentation de trahir l’Europe, notre terre commune », plaidait-il.
Certains se sont réjouis du résultat de ce vendredi, comme beaucoup l’ont fait avec la promesse infâme de Chamberlain de « la paix dans notre temps ». Ma pensée se tourne vers Jérémie, le prophète qui pleurait, et qui, après avoir à maintes reprises mis en garde, a vu sa Jérusalem tant aimée et son temple détruits. Malgré son chagrin, il pouvait encore affirmer : « Les bontés de l’Eternel ne sont pas épuisées ; que ta fidélité est grande. » (Lamentations 3:22-23). L’exil se produisit quand même. Mais malgré la folie de l’homme, Dieu resta souverain.
Quelle tragédie ! Une nation plongée dans la crise, ses deux principaux partis politiques en crise de leadership, sans idée claire pour un avenir stable. Un avertissement sobre pour toute autre nation européenne envisageant un referendum.
Bonne nouvelle
Voici la bonne nouvelle. Partout dans le continent, la discussion au sujet de l’avenir de l’Europe bat désormais son plein. Et celle-ci est bien trop importante que pour la laisser seulement aux politiciens. Nous devons tous être informés et impliqués. Le danger, bien sûr, est que la toxicité du débat du Brexit puisse se répandre. Le camp du ‘Remain’ (maintien dans l’UE), après des décennies de dénigrement de quelque chose s’appelant ‘Bruxelles’, argumentait pour rester dans l’Union européenne, comme étant le moindre des deux maux. Chaque camp jouait la carte de la peur. Personne ne partageait une vision constructive de ce à quoi l’avenir pouvait ressembler.
Voici donc notre défi immédiat : articuler une vision crédible de cette Europe dont nous avons besoin. Robert Schuman rêvait « d’une communauté de peuples profondément enracinée dans les valeurs chrétiennes », une Europe où les nations coopéraient pour le bien commun, une Europe de l’inclusion, de générosité, d’hospitalité, d’interdépendance, de respect, de compassion et de solidarité. Pour reformuler JFK, la question n’était pas « qu’est-ce que l’Europe peut faire pour nous ? » mais « que pouvons-nous faire pour l’Europe ? »
Jamais ?
Voici une autre lueur d’espoir perçant à travers les nuages de pessimisme et de morosité qui surplombaient à l’aube de ce Black Friday : le Brexit pourrait en fait ne jamais se produire. Bien sûr, nous connaissons tous le résultat du referendum. Mais qui osera activer l’Article 50 ? David Cameron a démissionné ce vendredi, ce qui rend improbable à tout successeur d’être en mesure de commencer ce processus avant l’automne. Boris Johnson, le candidat favori, semble ne pas avoir de plan clair sur ce qu’il doit faire après, comme s’il ne s’était jamais vraiment attendu à gagner. Les conséquences dramatiques du Brexit commencent à poindre pour lui aussi.
Qui donc, se demande le Guardian, voudra avoir la responsabilité de toutes ces ramifications et conséquences sur sa tête et ses épaules ? Boris Johnson… a été dominé et mis en échec et mat. S’il se porte candidat à la tête du parti, et ensuite échoue dans la poursuite de l’activation de l’Article 50, il sera alors fini. S’il n’est pas candidat et abandonne effectivement le terrain, il sera alors fini. S’il se porte candidat, gagne et fait sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne, alors tout sera terminé – l’Ecosse se séparera, il y aura des bouleversements en Irlande, une récession… des accords commerciaux rompus. Là aussi, il sera alors fini. Boris Johnson sait tout ça. Les leaders du Brexit ont désormais un résultat qu’ils ne peuvent pas utiliser. Pour eux, le leadership du parti conservateur est devenu un calice empoisonné. Lorsque Boris Johnson a dit qu’il n’y avait pas besoin d’enclencher l’Article 50 immédiatement, ce qu’il voulait vraiment dire était « jamais ».
Entre-temps, la pétition afin que le gouvernement applique une règle de l’Union européenne sur les referenda – que si le vote gagnant était inférieur à 60%, basé sur un taux de participation inférieur à 75%, il devrait y avoir un autre referendum – a rassemblé quelque 3,5 millions de signatures en trois jours ! (Ironie du sort, elle fut initiée par un ‘leaver’ lorsque le résultat escompté était en faveur du ‘Remain’). Imaginez : une règle de l’UE pourrait être un moyen de sauver la face de Westminster !
Personne ne prétend que l’UE est une institution parfaite. C’est une œuvre en cours, en constant changement, grâce à la participation de tous les Etats membres. L’avenir de l’Europe sera notre thème majeur au cours du Masterclass à Louvain, du 2 au 7 août. A présent, le temps est sûrement venu de faire face à cette question. Ce serait maintenant un bon moment pour nous rejoindre à Louvain.
À la semaine prochaine,