Une perte tragique

juillet 19, 2016

C’était une nation bien divisée sur la question du Brexit que notre bande d’amis voyageurs a rencontrée la semaine dernière, comme nous nous dirigions vers le sud d’Edimbourg en direction de Cantorbéry, pour terminer le Tour de l’héritage celte de cette année. Alors que parmi ceux que nous avons rencontrés, certains craignaient la perte de l’unité et de la tolérance de la Grande-Bretagne, d’autres exsudaient en fanfaronnade et optimisme malgré un avenir incertain.

Nous avons aussi rencontré une division nord-sud bien plus ancienne, qui mena à une perte tragique de plusieurs siècles d’une spiritualité alternative à celle de Rome et de sa dérivée anglicane. En effet, les Anglais – ou leurs aïeux anglo-saxons païens – furent évangélisés aussi bien depuis le nord que le sud, à partir du septième siècle.

Des missionnaires celtes irlandais s’étant installés à Iona, une île au large de la côte occidentale de l’Ecosse, avaient établi une communauté sœur sur une autre île, sur la côte orientale de ce qui est désormais le nord de l’Angleterre, juste au sud de la frontière écossaise. En 635, Saint-Aidan avait choisi l’Île Sainte, ou Lindisfarne, seulement accessible à marée basse, comme lieu idéal pour un monastère celte (voir photo). Ceci est toujours vrai aujourd’hui, comme nous ne pouvions rouler sur la jetée que durant une période de six heures, suivant approximativement la rangée de grands poteaux, placés à intervalles réguliers à travers les vasières, afin de guider les pèlerins à pied vers leur destination. Ici et là, des plateformes de refuge ont été construites pour ceux qui sont trop lents pour échapper à la marée montante.

Apostolique

Les premiers missionnaires, parmi eux les frères Chad et Cedd, avaient accompli le voyage, en sens inverse, à travers les vasières, afin de commencer la tâche ardue d’apporter l’Evangile à ces barbares germaniques qui avaient afflué en Grande-Bretagne après que les Romains soient partis, poussant les Britanniques vers les coins les plus éloignés à l’ouest et au nord de l’île : les Cornouailles, le Pays de Galles, la Cumbria et l’Ecosse. Oui, il fut un temps où les Anglais étaient aussi des immigrés indésirables. Chad et Cedd étaient eux-mêmes parmi les premiers Angles convertis à avoir été formés sous la direction d’Aidan, selon la tradition celte irlandaise. Tous deux allaient effectuer leurs missions apostoliques auprès de leurs collègues angles et saxons, atteignant des terres aussi éloignées que l’Essex actuel, à l’est de Londres (Cedd), et les Midlands (Chad).

Pendant ce temps, depuis le sud, les missionnaires romains, sous l’autorité d’Augustin de Cantorbéry, envoyés par le Pape Grégoire pour convertir les Anglo-Saxons en 597, avaient progressé vers le nord. Très rapidement, ils découvrirent que le christianisme celte pratiquait la foi d’une manière non autorisée par Rome. Les tensions montèrent. Les deux traditions différaient dans le rasage de la tonsure monastique, la célébration du Sabbat, le baptême et le jeûne. Ils fonctionnaient selon des calendriers différents, l’un lunaire et l’autre solaire. Les racines de l’église celte étaient dans la tradition copte ou orientale, et célébrait Noël le 6 janvier. Pâques aussi était célébrée à des dates différentes, ce qui causait beaucoup de confusion pour les mariages mixtes, où un partenaire faisait la fête pendant que l’autre jeûnait – comme c’était le cas du roi Oswiu de Northumbrie et de sa femme, la reine Eanfled.

Le roi fit donc appel à un synode afin de décider, une fois pour toutes, quelle tradition prévaudrait. Celui-ci fut tenu en 664, à Whitby, le long de la côte non loin de Lindisfarne, dans un monastère celte mixte dirigé par l’abbesse Hilda. Cedd allait jouer un rôle central en tant que traducteur. Les deux parties exposèrent leur cas. Les celtes expliquèrent que leur héritage était lié à l’apôtre Jean, avec son accent sur l’amour. Les Romains revendiquèrent la suprématie sur l’Eglise universelle, faisant appel à leur patron Saint-Pierre. Après tout, argumentèrent-ils, si on avait donné à Pierre les clés du Royaume des cieux, il serait sage que le roi obtienne ses bonnes grâces.

Déçus

Ceci convainquit le roi qui jugea que l’Eglise romaine devait prévaloir. Le premier historien de l’église anglaise, Bede, écrit que tous ceux qui étaient présents consentirent. Cependant, beaucoup d’adeptes celtes furent profondément déçus, et se retirèrent de Lindisfarne et d’autres monastères vers Iona et l’Irlande. Whitby marqua un tournant dans la montée de l’Eglise romaine et le déclin des Celtes.

Comme l’écrit John Finney dans ‘Recovering the Past’ (Récupérer le passé), ‘l’évangélisme des Celtes, libre, mobile, centré sur la communauté, était beaucoup plus efficace que le style plus plombé des Romains’. Pourtant, c’était l’organisation romaine que la Grande-Bretagne hérita plutôt que l’organisation celte. Des lois d’église furent introduites pour interdire à des moines celtes de s’introduire dans des diocèses et des villages romains, des lois qui n’ont été que récemment abrogées par la Chambre des lords, afin de permettre l’existence de plus d’une église par village, afin que le mouvement Fresh Expressions (Expressions nouvelles), soutenu par l’église anglicane aujourd’hui, puisse multiplier de nouvelles formes d’églises.

La spiritualité celte était décentralisée plutôt que hiérarchique, relationnelle plutôt que légaliste, reconnaissait les dons plutôt que les titres, promouvait l’homme et la femme de manière égale dans les rôles de direction, et voyait la lumière de Dieu dans tous les hommes, plutôt que d’insister sur la déchéance. Dans un contexte essentiellement non-chrétien, comme nous le voyons souvent aujourd’hui, le modèle celte était plus efficace, suggérait Finney.

Malheureusement, le christianisme celte a été largement oublié, jusqu’à sa redécouverte au cours des dernières décennies.

Et ce fut une perte tragique.


À la semaine prochaine,

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